Les visiteurs sont surtout interpellés en 1937 par le face-à-face de deux bâtiments imposants, au pied du Trocadéro, le pavillon du IIIème Reich et le pavillon soviétique, achevé pour sa part plusieurs jours après l’inauguration. Le pavillon l’URSS, surmonté de sculptures colossales. « L’ouvrier et la kolkhozienne » semblent défier l’aigle nazi qui surplombe la place de Varsovie (ça ne s'invente pas!) .
Les Allemands avaient attendu que le pavillon soviétique soit
achevé pour finaliser le leur, ajoutant au dernier moment une
dizaine de mètres à la hauteur prévue pour placer l'aigle nazi
dominant les Soviétiques.
Boris Iofan supervisa les travaux du pavillon soviétique dès 1933. Sur le projet d'origine, il avait eu l'idée de placer au sommet de son bâtiment une statue de Lénine, de 50 à 70 mètres de haut. Le projet a été approuvé le 10 mai 1933 par le Présidium.
Le projet fut modifié par concours durant l'été 1936,
et l’on demanda à Véra Mukhina, orthographié
aussi Moukhina ou Mounikhia, née le 19 juin 1889 à
Riga et décédée le 6 octobre 1953 à Moscou, de réaliser un
couple soviétique monumental, en acier inoxydable de 24 mètres
de haut, pesant 65 tonnes. Sur les conseils du professeur PN
Lvov (Lviv), Mounikhia décide de réaliser sa double
statue en plaques d’acier chromé inoxydable, rendant
l'ensemble brillant comme un miroir.
Photos de Richard Napier -USA- 1982
La réalisation de l'écharpe au vent
et du bras du kolkhozien, (tous deux à l'horizontal) furent des
défis énormes qui mis en retard le projet, mais c'est cette
prouesse dans l'étoffe (5 tonnes et 10 mètres de long) qui donne
vie à la sculpture monumentale et qui emporta la décision du
jury.
Il fallut trois mois de travail en usine, pour réaliser un
gabarit en bois taille réelle, mais en creux semble-t-il, ainsi
ce qui est convexe devient concave et inversement et ce d'après
l'esquisse de travail au 1/15 éme. La lutte entre la
sculptrice Moukhina et l'ingénieur Zhuravlev qui
devait réaliser les colosses fut quotidienne, les proportions
finales étant au final assez approximatives selon l'artiste.
Quatre mois furent ensuite nécessaires à la mise en forme de
l'acier chromé sur les gabarits après de très nombreuses
retouches et modifications .
Le model de travail au rapport 1/15.
Mais la réalisation de l'écharpe comme prévu par
les détracteurs du projet, est recommencée plusieurs fois,
les problèmes techniques se succèdent, il faut refaire le
travail et l'artiste est continuellement sur le dos des
ouvriers, apportant des correctifs à chaque étape. Le directeur
de l'usine, Tambostev, se plaint au gouvernement
accusant Moukhina de sabotage. De délation en
délation, ce fut la délégation soviétique du pavillon russe et
son commissaire, Ivan Mezhlauk qui furent mis à l'index à leur
retour de Paris ainsi que des ingénieurs ayant travaillé à la
réalisation de la statue. Ils ne furent réhabilités, certain à
titre posthume qu'après la mort de Staline.
L'assemblage de la statue a eu lieu en Mars 1937
dans la cour de l'usine à Moscou. Une grue de 35 mètres fut
amenée et 160 ouvriers furent mis à contribution pour
l'édification de la statue. La nuit, on allumait des feux à
l'intérieur de la carcasse d'acier pour voir les points qui
n'avaient pas été soudés ou, bien mal joints.
Photo en haut à gauche Mounikhia en béret.
Lorsque l'assemblage fut fini, Staline en personne vint voir
l'Ouvrier et la Kolkhozienne. Une rumeur disait qu'en certains
endroits, on pouvait voir des effigies de Trotski, ennemi des
classes soviétiques, par brillance ou en ombre chinoise en se
plaçant à certains points. Il se pourrait que ces rumeurs
distillées par le directeur de l'usine Tambostev, aient été la
raison véritable de la venue de Staline sur le chantier.
Photos de
Richard Napier -USA- 1982 pour les six photos en noir et
blanc, 2006 pour les trois photos en couleurs dans le hangar
plus bas.
La statue a ensuite été découpée en
65 morceaux acheminés à Paris par 28 véhicules par la
route. En Pologne, certaines pièces ne passant pas sous les
ponts durent être déballées et acheminée une à une. Une
vingtaine d'ouvriers, monteurs, mécaniciens, soudeurs aidés de
28 travailleurs français remontèrent le groupe au fronton du
pavillon soviétique.
Les deux bâtiments, soviétique et nazi, depuis la rive gauche.
En onze jours (au lieu de vingt-cinq
prévus) la statue fut montée à son emplacement grâce entre
autres à la grue monumentale que les Russes avaient emmené dans
leurs bagages depuis l'usine Moscou.
On distingue sur le photo de gauche, les deux blocs sculptés au pied du pavillon. A droite, l'ouvrier et la kolkhosienne, aujourd'hui à Moscou dont l'image a longtemps été utilisée à la télévision soviétique pour l'ouverture des programmes des studio Mosfilm.
Photos de
Richard Napier -USA- 1982 pour les photos en noir et
blanc, 2006 pour les photos en couleurs dans le hangar.
À la fin de l'exposition internationale de 1937, les colosses ont été remontés à Moscou où ils trônèrent devant le bâtiment de l’exposition permanente des réalisations de l’industrie et de l’agriculture soviétique. Restaurée à partir de 2003, le couple d'acier vient d'être remonté en 2009.
Photos d’Alexander
Orlov, pour les quatre photos de démontage en noir et
blanc, réalisées en 2003 .
Remerciement à l'auteur , voir son site http://alpauk.livejournal.com/
Le piédestal de 10 mètres, que l'on voit sur la carte postale couleur en haut de page, a été détruit, et la sculpture a aujourd'hui retrouvé un socle à sa hauteur, puisque les Russes dont le projet est mené par Vadim Tserkovnokov, chargé de la restauration, ont reconstruit à l'identique le pavillon de 1937, inauguré début décembre 2009.Ce nouveau pavillon abrite un musée et des salles d'exposition. Les deux haut reliefs, dont l'histoire est racontée ci-dessous ont été eux aussi reconstruits.
Photographies ci-dessus de Anton Belitsky,
photographe russe, avec son accord. Спасибо . Photos prises le 5
décembre 2009, lors de l'inauguration du nouveau monument
Voir le site d'Anton Belisky
Mis à jour en 2008, François Gentili, archéologue, vient de mettre à jour un nouveau vestige des expositions. Il s'agit de statues brisées découvertes dans la profonde glacière du parc du château de Baillet-en-France dans le Val d'Oise.
Ces statues de Joseph Tchaïkov ornaient le pavillon soviétique de l'exposition des arts et techniques de la vie moderne à Paris, en 1937.
C'est au cours de fouilles préventives, réalisées par l'INRAP, avant la construction d'un lotissement, dans le parc de l'ancien château de Baillet-en-France, que ces statues ont été découvertes, presque par hasard au fond d'une glacière datant du XVII siècle.
Le Géorgien au fond du puit!
Le Géorgien et son cheval.
L'Ouzbek.
Lorsqu'un marteau et une faucille furent découverts, les doutes firent s'éloigner les hypothèses Renaissance (époque du chateau, détruit dans les années 80 ). Le blason d'Arménie, représenté par le mont Ararat et l'arche de Noé, d'Azerbaïdjan symbolisé par les puits de pétrole de Bakou, ont assez rapidement orienté les recherches vers le pavillon de l'URSS exposé à Paris pour l'exposition Internationale de 1937.
François Gentili au fond de la glacière de Baillet en France.
François Gentili, archéologue à
l'INRAP, (Institut National de Recherches Archéologiques
Préventives) qui a découvert les statues en 2004, explique que
les sculptures réalisées par l'artiste Joseph Tchaïkov (Kiev
1888, Moscou 1986) proviennent de deux blocs monolithiques,
présentes de part et d'autre du pavillon soviétique. D'un côté
les symboles des onze républiques soviétiques, de
l'autre les habitants et l'art des onze
républiques construisant le communisme.
Joseph Tchaïkov est né à Kiev en 1888. Son grand père Solfer, intellectuel juif religieux à Pinsk le fait renter dans un atelier de gravure en 1908 où il se distingue par son travail. Il obtient une bourse de la Société des artisans de Kiev pour aller étudier à Paris. Il y intègre l'école supérieure des Arts Décoratifs et l'école des Beaux-Arts. il croise à la Ruche (Voir la ruche, vestige de l'exposition de 1900) Soutine et Chagall. Il expose avec l'avant-garde parisienne au Salon d'Automne de 1913. Ces années d'avant-guerre, il forme un courant artistique juif; "Makhmadim (les précieux), voulant "fournir au monde de nouveaux motifs d'art juifs".
Tchaikov retourne à Kiev avant la première guerre mondiale, où il poursuit son activité artistique engagée. Il veut incarner dans ses sculptures la vie même et trouver une source d'inspiration pour l'avenir. En 1925, il entre à La Société de sculpture Russe à Moscou pour en devenir son président en 1929. Dans les années 30, il symbolisa le courant du réalisme dans la sculpture soviétique. Il meurt à Moscou en 1979.
Photo de droite de Anton Belitski, Moscou décembre 2009
Les deux blocs de Joseph Tchaïkov ont
trouvé refuges fin 1937, à Baillet, dans le parc du syndicat
de la métallurgie qui accueillait des camps de loisir
pour la jeunesse, venus à quelques dizaines de kilomètres de
Paris prendre le bon air, mais qui accueillait aussi les familles
qui venaient pique-niquer le dimanche et assister à des
spectacles. Avec la Maison des Metallos et la
clinique des Bleuets, dans le 11e arrondissement de
Paris, le parc de Baillet est un haut lieu du mouvement social
en France.
Libre reconstitution à Moscou de la frise de
Chaikov, au pied de l'Ouvrier et de la Kolkhozienne. Photos de
Anton Belitski prises le 5 décembre 2009, lors de
l'inauguration du nouveau monument
Voir
le site d'Anton Belisky
En 1939, c'est la jeunesse pétainiste qui vint s'ébattre dans le parc et détruit les symboles bolcheviques, mais très rapidement le gouvernement Daladier transforme le château en centre d'internement administratifs pour les communistes. La CGT a repris possession des lieus de 1945 à 1970. Il semblerait que les blocs aient été déposés dans la glacière après guerre, ne sachant que faire des morceaux brisés qu'on aperçoit au sol sur des photos prises en 1945 ou 1946.
20 cartes postales détachables.