Le palais avait été conçu pour rendre la présentation des objets exposés la plus rationnelle possible. On éleva un immense bâtiment ovoïde, surnommé Palais Omnibus, constitué de sept galeries concentriques, regroupant chacune des objets similaires, coupées par des allées latérales allant du centre vers l?extérieur. Les pays occupaient des portions comme des parts de gâteaux, et le visiteur pouvait choisir de faire une promenade circulaire, admirant ainsi tous les objets d?une même classe à travers le monde, soit du centre vers l?extérieur pour découvrir tous les objets exposés par un même pays. La Belgique, la Russie, l'Angleterre et la France se partagaient la plus grande partie de ce palais.
L'édifice, conçu par l'ingénieur Jean-Baptiste
Krantz et l'architecte Léopold Hardy,
était composé de 135 000 tonnes
d?acier assemblées par 6 millions de rivets. Il
mesurait 110 mètres dans sa plus grande largeur et 325
mètres de longueur. Seize portes en permettait l'accès. Un
promenoir extérieur de 1413 mètres, agrémenté de restaurants
et d?attractions, faisait le tour du bâtiment. Doté de tout
le confort moderne, le bâtiment était équipé de 16
kilomètres de tuyaux d?eau et 13 kilomètres de tuyaux de gaz
serpentant le long de 7 kilomètres de galeries souterraines,
et de 5000 becs de gaz.
Plus de 300 robinets d'eau étaient à la disposition des
exposants et des visiteurs. Un ingénieux système
d'aération souterraine à travers tout le quartier
insufflait l'air de l'extérieur par des grilles situées dans
le plancher. Le tout pour un coût de 11.738.024 francs.
Malgré ce festival de prouesses techniques, l?édifice était
inéluctablement voué à la destruction : il fallait, à la fin
de l'exposition et sans dérogation possible libérer le Champ
de Mars! Propriété de l'armée !
A l'intérieur, la mode est à la
fabrication, devant le visiteur ébahi, de toutes sortes
d?articles : chapeaux de feutre fait de poils de lapin,
chaussures cousues, bougies, vitraux, cristallerie,
dentelle! On fait la démonstration de machines à laver le
linge ou de métiers à tisser anglais. Dans la section de la
photographie française, on expose des portraits sur
porcelaine. M. Leboyer propose d'imprimer en
quelques minutes des cartes de visite personnalisées,
tandis qu'un M. Rouart fabrique plusieurs kilos de
glace à l'heure.
Côté industriel, la tendance est au toujours plus grand,
et ce sont les locomotives géantes, les canons gigantesques
et les plus hautes grues qui impressionnent le visiteur de
la galerie des machines.
La deuxième grande nouveauté
de l'exposition était « le Parc ».
Tout est prévu. Les 9 062 965 visiteurs ont à
leur disposition tout le confort moderne : des salles de repos,
des fauteuils roulants, une poste et un télégraphe et, même, un
barbier. Une crèche permet de laisser son bambin durant
la visite. La promenade est une véritable leçon de
géographie commerciale, industrielle et morale et le visiteur erre
au hasard des allées, étourdi de tant de curiosités, de la plus
anecdotique à la plus grandiose.
Pour l'occasion, l'ingénieur Jean-Charles Alphand (créateur du
bois de Boulogne) et le paysagiste Jean-Pierre Barillet-Deschamps
avaient fait araser le sommet de la colline du Trocadéro, sur la
rive opposée de la Seine, pour fournir la terre nécessaire à la
réalisation des buttes, rocailles et autres décors bucoliques du
Parc. Ils profitèrent du site du Trocadéro (altitude 35 mètres
au-dessus du niveau de la Seine et du Champ de Mars) pour y
creuser un immense réservoir qui alimentera en eau sous pression
les fontaines, les cascades ou toutes autres féeries des eaux.
Les organisateurs de cette exposition de 1867 inventèrent le
concept du pavillon, qui fut repris ensuite lors de
toutes les autres manifestations et encore de nos jours : c'est
dans ce Parc que les nations invitées purent pour la première fois
construire ces écrins éphémères de leur production et de leurs
spécialités. On pouvait ainsi à loisir visiter des chalets
suisses, des isbas russes,
un village autrichien, un cottage anglais, le
palais du Bardo duBay de Tunis (que les Parisiens ont pu
voir à jusque dans les années 90 dans le parc Montsouris), un
palais égyptien, un phare, des
chapelles, des restaurants, un bain turc, mais aussi une
boulangerie, un aquarium, une papeterie, une verrerie, une
poste. Certaines sociétés étalaient leur puissance financière en
réalisant de véritable petit palais comme le pavillon de
l'Isthme de Suez.
Le promenoir, la nuit venue.
Le soir,
alors que le palais de l'Industrie ferme à 18h00, le Champ de
Mars, lui, reste ouvert jusqu'à minuit et devient vite la
promenade préférée des Parisiens. Chaque jour, 80 000 visiteurs
pouvaient parcourir 74 kilomètres d'allées, couvertes ou en plein
air, du Parc.
Du côté de la centaine de restaurants, on trouve
tout au long du promenoir qui ceinture le palais de l'Industrie
ainsi que dans le Parc, trois restaurants français, un café
algérien, un autre hollandais, où l'on déguste du curaçao,
un restaurant prussien, qui sert des vins du Rhin, une
brasserie viennoise, une buvette suisse? Un vrai tour du monde
gastronomique ! Et l'occasion (parfois) de porter un coup fatal à
certains préjugés : dans son ouvrage sur les curiosités de
l?exposition, H. Gauthier précise à propos du restaurant espagnol
« qu'on n'y fait même pas la cuisine à l'huile rance, et, chose
désespérante, on y trouve une propreté et un confort que les
amateurs de couleur locale appellent une faute capitale. ».
Le café suédois sert
du punch suédois, le restaurant russe du caviar et du saumon cru.
Il y a encore des restaurants italien, turc, roumain, marocain, un
café des Etats-Unis, où les Parisiens se pressent pour déguster
des sodas à la crème glacée. Au café anglais, le bon ton côtoie le
vrai chic britannique et l'on déguste des pale-ale et des sherry
accompagnés de tranches de « rost-beef ». On trouve aussi une
boulangerie forcément viennoise, et l'on achète des oranges à
l?horchateria de Valence. Ce déploiement de spécialités
étrangères, et leur caricature souvent naïve, a sans aucun doute
aidé à forger dans l'inconscient collectif tous les archétypes sur
les étrangers que l'on véhicule souvent encore aujourd'hui. La
serveuse bavaroise est accorte alors que la cuisine espagnole ne
conviendra pas aux estomacs britanniques, l'Américain est puritain
et mange des sucreries !
Quant au café turc, il est installé dans le bazar algérien! Les
raccourcis géographiques sont aussi approximatifs que
fulgurants.
La moutarde Bornibus dont le siège était boulevard de la Vilette, à Paris, obtint une médaille en 1867, et, était peut-être servi dans les restaurants du parc.
Un scaphandrier passe des
heures dans un « Aquarium Humain », un
véritablement appartement englouti sous l'eau. Un autre cobaye
humain fait la démonstration d'appareils respiratoires
autonomes en milieu enfumé.
Pour loger les ouvriers à moindre coût, M. Japy a imaginé « La
maison à Bon Marché », construite en brique et ne
coûtant que 3 000 francs (l'ancêtre de la maison à 100 000 euros
de Jean-Louis Borloo ou celle à 15 euros par jour de Christine
Boutin ces dernières années). Dans son propre pavillon, Henry
Dunant présente la toute jeune Croix-Rouge qu'il
a créée en 1864.
Courbet, lui, récidive son expérience de 1855 et montre une centaine de tableaux dans son pavillon indépendant du rond-point de l'Alma ; cette fois-ci Edouard Manet l'a suivi en construisant sa propre baraque à quelques mètres. Il y montre Le Déjeuner sur l'herbe, L'Olympia et une cinquantaine d'autres toiles.