La Russie était, en 1867, l’un des invités
d’honneur de la France. Toutes les attentions lui étaient
accordées. Les relations entre les deux pays ayant pâti durant
les campagnes napoléoniennes, il était important de renouer les
liens. Ainsi, une grande partie du Palais central lui était
offerte.
Le 2 juin, le Tsar Alexandre II,
accompagné de ses deux fils, arrive en grand équipage à la gare
de l’Est. Le 18 juin, il est la cible de coups de feu alors
qu’il revient, en compagnie de Napoléon III, d’une revue
militaire. L’auteur de l’attentat, un exilé polonais ne sera
condamné qu’à une peine de prison grâce au climat très favorable
à la cause polonaise. Les relations franco-russes n’en
sortent évidemment pas améliorées (le tsar succomba à la sixième
tentative d’assassinat, à Saint-Pétersbourg, en 1881). L’empereur
resta pourtant à Paris jusqu’à la fin de l’automne, se promenant
incognito dans les rues de la capitale et assistant avec ses fils
à quelques-uns des 400 bals organisés par le gotha.
Ensemble, ils prirent les tout nouveaux bateaux-mouches
qui reliaient l’expo à l’île de Billancourt, l’annexe agricole. Le
cœur des Parisiennes battait pour les deux jeunes grands-ducs,
dont les moindres mouvements étaient relatés dans la presse
quotidienne.
Dans la salle consacrée aux beaux-arts russes
qui se situait dans la section russe du
palais Omnibus, se trouvaient réunis des bronzes de
Lieberich, des dessins de l’Ecole technique de Moscou – la seule
école professionnelle de Russie. Là le calme et la majesté des
grandes figures de saints d’une mosaïque monumentale
réalisée en verre émaillé impressionnaient le visiteur. Quatre
années furent nécessaires aux artistes Chmiliewski, Bouroukine,
Agafonoff et Mouravieff, de l’établissement impérial de
Saint-Pétersbourg, pour réaliser cet ensemble imaginé par Neff,
professeur de l’Ecole technique. Commandée pour la
cathédrale Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg (la
troisième plus grande cathédrale d’Europe après Saint-Pierre de
Rome et Saint-Paul à Londres), elle y fut installée dès son retour
de l’exposition et c’est là-bas que l’on peut encore aujourd’hui
admirer cette œuvre magnifique.
Mosaïque monumentale, commandée pour la cathédrale Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg
Photos capturées depuis le site de la cathédrale St Isaac.
Cette salle de l’exposition renferme des pièces d’orfèvrerie remarquables, comme un pot à lait en argent décoré de scènes pastorales en or fin réalisés par Sasikoff, des pierres précieuses, des émaux de Léopold Bonafède (1833-1878), des candélabres d’église ou encore un vase monumental – 2 mètres de hauteur – provenant de la manufacture impériale, étincelant d’or, les anses recourbées en crosse reposant sur deux têtes de taureaux. Le musée national de céramique à Sèvres conserve douze échantillons de verre coloré (porporino et autres imitations variées de marbres en tablettes rectangulaires plus un bloc d’aventurine grenat, orange jaune et or irrégulièrement taillé) fabriqués à la verrerie impériale de Saint-Pétersbourg et donnés par le directeur de l’établissement, Léopold Bonafède à la suite de l’exposition universelle de 1867.
Un peu plus loin, étaient exposés les costumes traditionnels de l’empire russe, taillés dans des peaux d’ours blanc ou de rennes pour les habitant de la Sibérie, en velours et broderies pour les Caucasiens.
A l’extérieur, au niveau de l’actuelle avenue de Suffren et de la rue de la Fédération, un véritable village russe avait été transporté depuis Saint-pétersbourg jusqu’au très parisien Champ de Mars par les charpentiers locaux, d’après les plans du ministère des Domaines réalisés par l’entreprise de monsieur Gronov, commerçant en bois de son état. Ce village idéal était composé d’une sorte de yourte kirghize, que les nomades montent pour se protéger du climat sibérien, d’une tente en écorce et de 4 édifices principaux.
Quatre marches menaient au premier, une maison
bourgeoise. Une terrasse couverte protégeait l’entrée
principale des intempéries, une dentelle de bois courant le long
du toit du perron. Les portes, fenêtres et colonnes étaient
peintes en blanc. Le promeneur du Champ de Mars découvrait du
mobilier exotique, des icônes, de magnifiques fourrures, des
brocards aux brillants reflets, des céramiques du Caucase. On y
réalisait devant le chaland de fines broderies.
A côté, l’isba paysanne contrastait par sa
rusticité. Elle était fabriquée avec de grosses poutres qui
s’emboîtaient les unes dans les autres par de profondes entailles.
Les jointures étaient calfatées côté extérieur et recouvertes de
planches peintes à l’intérieur. Un coffre, quelques chaises, une
table pour tout mobilier, des peaux d’ours et de phoques aux murs.
Malheureusement pour les curieux, les gardiens russes qui
surveillaient les différentes constructions ne parlaient pas un
mot de français, et les visiteurs avides de détails et d’échanges
avec les représentants de cette nation lointaine restaient sur sa
faim. On exposait dans cette isba les produits de la chasse, de
l’agriculture et de la pêche, notamment une jolie
collection… de poissons séchés, produit totalement
inconnu chez nous, mais ayant une grande importance pour les
Russes à cause des nombreux jours de carême imposés par l’Eglise
orthodoxe. En effet, la période de jeûne durant laquelle l’usage
de la viande était interdit était estimée à un tiers de l’année
environ.
En face, les écuries du Tsar, où logeaient
les chevaux de l’empereur Alexandre II, étaient composées d’une
vingtaine de boxes, luxueusement décorés et agréablement aérés.
Paul Bernard, un architecte français, s’était occupé des plans de
ces écuries.
Les chevaux provenaient pour la plupart d’Ukraine, montés par les cosaques, ce peuple nomade au service du Tsar tout au long du XIXe siècle. A leur côté, quelques chevaux finnois, plus petits, étaient eux utilisés comme animal de ferme, les ânes et les baudets ne résistant pas à ces contrées de grand froid. Deux fois par semaine, le mardi et le vendredi vers trois heures, l’élite parisienne du monde du sport et du turf se pressait devant les haras impériaux pour admirer les officiers sortant et faisant trotter les chevaux de l’Administration supérieure des haras russes, représentée par le général Moerder, « gentleman accompli à la courtoisie parfaite » lisait-on à l’époque dans les gazettes. Les connaisseurs pouvaient plus particulièrement admirer trois célèbres chevaux de selle de la race pure Orlov-Tchesmensky – un comte russe qui créa une lignée de trotteurs en 1776 qui se caractérise, encore aujourd’hui, par un long cou de cygne et une robe gris pommé. Il semble néanmoins peu probable qu’on n’ait sorti ces chevaux que deux fois dans la semaine, on peut supposer qu’une promenade quotidienne était organisée loin des regards de la foule avant l’ouverture des portes.
Sur le côté des écuries, la poste russe, le dernier des quatre
édifices, accueillait le repos des visiteurs dans une grande salle
parsemée de canapés recouverts de cuir ; on y avait exposé des
voitures et des traîneaux finement travaillés.
Villa beauséjour, à Paris.
Il existe encore aujourd’hui des isbas datant de cette époque, une à Saint-Cloud, rue des Ecole, et trois à Paris, villa Beauséjour dans le XVIe arrondissement.
Une fois l’exposition terminée (et ceci a été commun à toutes les expositions des XIXe et XXe siècles), il était plus facile et plus rentable pour les exposants de vendre leurs pavillons et les pièces les plus encombrantes, plutôt que de les ramener dans leur pays. Pourquoi rapatrier en Russie une isba Russe ou un chalet en Suisse? C'est ainsi qu'à partir 1867 et pour les expositions suivantes, on trouve dans toute la France ces vestiges exotiques.
Pour les isbas de Paris, il semble qu’Alphonse Lasnier, entrepreneur parisien propriétaire d'un terrain situé à la chaussée de la Muette, ait acheté directement certains des pavillons russes. On retrouve en effet sa trace en 1875, date à laquelle il est propriétaire de 3 des 4 isbas au 3, 6 et 8, villa Beauséjour.
L’isba de Saint-Cloud a eu pour sa part un destin quelque peu différent. Elle est habituellement répertoriée comme provenant de l’exposition universelle de 1889. Or aucune isba russe ne figure dans le catalogue officiel de 1889. Cette jolie maison en rondin a très probablement été remontée une première fois à Paris, avenue de Villiers dans le 17e arrondissement. Puis, en 1884, un monsieur Picquenard la rachète et la divise en deux parties. L’une sera déplacée à Courbevoie (on a ensuite perdu sa trace), l’autre est reconstruite rue des Ecoles, à Saint-Cloud.
Et c’est sa famille qui y habitera jusque dans les années 2000. Les isbas de Paris et de Saint-Cloud proviennent donc du même ensemble russe de 1867. Adaptée pour l’habitation, l’architecture d’origine a entièrement été remaniée. Les caves et les entresols du premier ont été réalisés en meulières, sur un plan ajusté aux différents terrains. Les architectes français ont ensuite utilisé librement les divers éléments pour monter les façades, les fenêtres et les toitures de chacune des maisons russes, comme un Mécano de bois.
Il est à noter que la Russie est également présentée en grande pompe lors de l’exposition universelle de 1900. Cette année-là, les bâtiments se trouvaient en haut de la colline de Chaillot sur le côté gauche quand on regarde la Seine. En effet l’ensemble est tellement imposant qu’il a été impossible de le loger avec les autres rue des Nations (installé quai d’Orsay). Il s’agissait d’un groupe de pavillons formant là aussi un village avec son église à l’abri de l’imposant Palais de l’empire russe surnommé le Kremlin du Trocadero. Il faudrait tout un chapitre pour faire une présentation exhaustive de cette immense section russe, mais on peut néanmoins noter que fut présenté à cette occasion l’esquisse du tableau d’Henri Gervex (1852-1929), Le couronnement de Nicolas II, qui est exposé au musée d’Orsay.
La Russie en 1900 au Trocadero. On reconnait au premier plan l'elephant de Alfred Jacquemart installé ici en 1878